Portrait – Andrée Sorant
Doucement mais surement reprenons le fil…
Aujourd’hui, direction le Nord de la France pour vous faire découvrir l’univers d’Andrée Sorant. Derrière cette marque d’accessoires en soie, dessinés et produits en France, se cache Louise, jeune trentenaire dont le nom de marque a été choisi en hommage à sa grand-mère. L’une des femmes les plus élégantes d’Arras dans les années 50, selon la légende.
L’atelier d’Andrée Sorant se trouve à Roubaix, au sein de Maisons de Mode, au Vestiaire plus précisément. Juste à côté de La Piscine (pas municipale) pour les connaisseurs 😉
La période étant un tout petit peu chargée pour l’équipe d’Hôtel Bohême nous avons donné un petit cahier des charges à Louise afin qu’elle réalise les photos illustrant notre interview. Mais nous nous chargeons des questions que nous commençons dès maintenant.
-Louise, bonjour et merci de prendre de ton temps pour répondre à nos petites questions. Alors, pour commencer, peux-tu nous parler de ton parcours jusqu’à la création d’Andrée Sorant ?
Louise : Issue d’un milieu créatif, mon père était architecte et mon frère est plasticien, je me suis vite tournée vers des études artistiques. J’ai intégré la section Design Textile de l’Ecole Supérieur des Arts Appliqués et du Textile de Roubaix. Après l’obtention de mon BTS, j’ai décidé de partir un an à Berlin pour y poursuivre mes études et découvrir cette ville emblématique de la culture alternative.
A mon retour en France, fascinée par la culture japonaise, j’ai étudié sa langue et sa civilisation à l’université pendant deux années avant de reprendre mon cursus créatif.
Je suis alors retourné à l’E.S.AA.T pour le D.S.AA de Designer, Concepteur Textile. Après mes études, j’ai travaillé dans différentes entreprises, j’ai était coloriste chez Décathlon et styliste « conceptuel » chez Promod. Mais j’ai toujours eu envie d’être indépendante, comme ma mère qui avait ouvert le premier dépôt-vente de vêtements de Lille dans les années 70 ! Alors à la fin d’un énième CDD, je me suis lancée et j’ai créé ma marque.
-Peux-tu expliquer ton travail à ceux qui ne connaissent pas ta marque ?
Louise : Avec Andrée Sorant, j’ai choisi d’éditer de carrés de soie en séries limitées. Un choix d’exigence et de qualité rendu possible grâce au savoir-faire traditionnel des artisans de la région lyonnaise qui façonnent et impriment les foulards. Issu d’influences diverses, du design, des arts et de l’architecture, chaque foulard est un univers, proposant ses motifs singuliers et invitant à de multiples pliages qui le façonnent tel un objet graphique.
Dans une démarche de recherche textile et de réinterprétation des accessoires classiques, j’ai également créé le Col Claude. Accessoire unisexe, inspiré du Col Twist des années 60, il devient une alternative au nœud papillon et à la cravate. Il se décline en tissu et en cuir, se porte sous un col de chemise ou en collier plastron pour les femmes.
Lorsque je dessine un nouveau foulard, je commence toujours par faire une petite esquisse à la main, pour définir la composition générale. Ensuite je la reprends sur ordinateur et dessine les détails. Puis j’imprime le dessin à sa taille définitive. Ce sont de grands formats, souvent 90x90cm ou 120x120cm alors c’est important de les voir en taille réelle, c’est différent de la vision partielle de l’écran. C’est aussi à ce moment-là que je définie les gammes de couleurs. Je procède de la même façon pour les différents foulards d’une collection, puis je les compare et réajuste les couleurs et les motifs si besoin pour qu’ils forment un ensemble cohérent.
-Comment définirais-tu le style Andrée Sorant ?
Louise : Je dirais « Rétro – contemporain ». Mes inspirations sont souvent vintages, j’aime réinterpréter des codes, des accessoires classiques, le carré de soie par exemple, en les ornant de motifs graphiques. C’est la même chose pour le col Claude, je me suis inspiré d’un col des années 60, le « col twist », pour proposer un nouvel accessoire. J’aime bien les ambivalences, les contrastes, je trouve que c’est une bonne base de création.
-Peux-tu nous décrire l’une de tes journées type de travail ?
Louise : Il n’y a pas vraiment de journées type. Il y a plutôt différentes périodes. Quand je suis en phase de création, que je dessine une nouvelle collection, j’ai besoin de m’y plonger complétement, pendant une semaine, j’essaie de m’y consacrer à plein temps. Dans l’idéal, j’aimerais même pouvoir partir seule, vraiment m’isoler et ne faire que ça ! Depuis peu, je participe au salon Maison & Objet, il y a vraiment un « avant » et un « après » salon. Avant, il faut préparer toute la communication, prospecter pour se faire connaître auprès de nouvelles boutiques… Et l’après est tout aussi chargé, c’est une phase plus logistique, de production et de préparation des commandes passées sur le salon. Mais tout ça se passe dans un même endroit, mon atelier-boutique à Roubaix. Il se trouve au Vestiaire, un lieu qui se trouve près du musée de La Piscine et qui regroupe plusieurs créateurs.
– Pourquoi avoir choisi ce domaine de création : les accessoires en soie ?
Louise : J’ai toujours aimé et porté des foulards. J’en ai qui me viennent de ma mère, j’en ai chinés pas mal, j’en ai une petite collection… J’aime le côté précieux des foulards de soie et l’idée que ce soit un accessoire qu’on hérite de sa mère, de sa grand-mère. La notion d’héritage est importante pour moi, j’aime qu’un objet se transmette de génération en génération, qu’il se charge de souvenirs et d’histoire. En même temps j’avais aussi envie de dépoussiérer l’image parfois « vieillotte » que les gens en ont, en faire un accessoire contemporain.
* collection personnelle de l’artiste ! 😉
– Et si tu n’avais pas fait ce métier qu’aurais-tu fait ?
Louise : J’ai toujours aimé apprendre des langues étrangères, j’ai même étudié le Japonais, à une époque je me serais bien vu traductrice ou interprète, quand j’ai passé le concours d’entrée en Arts Appliqués, je m’étais dit que si je ne l’avais pas, je ferai des études de langues. Mais maintenant, je ne me vois plus faire autre chose qu’un métier créatif !
-Andrée Sorant est ta principale activité, ce n’est pas trop difficile de vivre de son activité de créatrice ? Qu’est-ce que cela implique dans l’organisation, la méthode de travail etc ?
Louise : C’est sûr, ce n’est pas facile de vivre de son activité de créatrice, être indépendant, ce n’est jamais facile ! On est seul face aux décisions et au début l’argent qu’on gagne il faut toujours le réinvestir dans la marque si on veut la voir grandir… Lorsque j’ai commencé à monter le projet, j’avais pris un petit boulot de vendeuse à mi-temps à côté et puis lorsque j’ai vraiment démarré l’activité, je me suis rendue compte que si je voulais que ça se développe, il fallait que je m’y consacre à plein temps… mais heureusement, j’ai beaucoup de soutiens de ma famille, mon conjoint et mes amis ! Et niveau organisation, j’ai beaucoup appris, il faut être rigoureux, ce n’est pas toujours facile de définir les bonnes priorités, il y a tellement de choses à faire !
-Tu devais avoir un rapport particulier à ta grand-mère pour choisir ton nom de marque en hommage à cette dernière. Tu veux bien nous raconter un peu ?
Louise : Andrée Sorant était la mère de ma mère. Hélas, elle est décédée quand j’étais assez jeune, vers 12 ans, mais c’est une personne qui m’a toujours fascinée ! Ma mère aime beaucoup nous raconter des histoires de son enfance et de sa famille. Elle m’a souvent parlé de la jeunesse de ma grand-mère qui était une femme libre et avant-gardiste ! Elle travaillait, était premier Prix de Tango et elle ne s’est mariée qu’à 30 ans… Elle était en avance sur son temps, j’en garde aussi l’image d’une femme très élégante ! Si j’ai choisi son nom pour baptiser ma marque, c’est à la fois pour les liens familiaux qui nous unissent mais aussi pour valeurs qu’elle véhicule à mes yeux. J’aime que les femmes soient libres et indépendantes !
-Tu as créé ta marque en septembre 2013, en mai 2014 tu as choisi Hôtel Bohême pour faire ta première expo. En janvier 2015, Daphné Burki arborait fièrement l’une de tes créations sur son compte Instagram. Et tu as fait ton premier Maison & Objets en septembre dernier, suivi du salon Scoop à Londres. C’est pas mal dis donc ! 😉 Quelle est la prochaine étape ? Et comment envisages-tu la suite pour Andrée Sorant ?
Louise : J’aimerais décliner mes motifs sur de nouveaux supports et dans d’autres domaines que l’accessoire de mode, je pense à la décoration notamment, pourquoi pas des papiers-peints ! Ce qui m’intéresse c’est de concevoir le motif en fonction de l’objet auquel il est destiné, par rapport au pliage du foulard par exemple. J’ai maintenant envie de me confronter à d’autres formats, d’autres produits, tout en gardant l’esprit, les graphismes et les couleurs qui définissent la marque. Pour m’aider à développer ce vaste projet, une amie va me rejoindre dans l’aventure l’année prochaine !
-As-tu une petite exclu ou des nouveautés à nous annoncer ?
Louise : Oui des nouveautés ! 4 nouveaux foulards en étamine de laine, très chauds et très doux pour l’hiver. Et aussi de la nouveauté pour les cols Claude, des modèles réversibles imprimés de motifs exclusifs inspirés des foulards.
-À travers les différents portraits que nous proposons nous cherchons à faire mieux comprendre qui sont ceux que l’on appelle depuis quelques années maintenant des « créateurs ». Quelle réponse donnerais-tu, toi qui es créatrice ?
Louise : Pour moi, un créateur, c’est avant tout quelqu’un qui est en recherche constante, qui est en avance sur son temps et propose de nouvelles choses. Pour ça, il faut être observateur et sans cesse se remettre en question.
-Cela fait 2 ans que tu viens exposer ton travail à Hôtel Bohême. Est-ce que ta participation à notre évènement a changé quelque chose dans l’évolution de ta marque ?
Louise : Ma première participation à l’Hôtel Bohême m’avait permis de trouver mon premier point de vente à Paris. Depuis à chaque fois que je reviens, j’ai l’impression de gagner en visibilité, de plus en plus de personnes semblent me connaître. C’est aussi pour moi le moyen de rencontrer la clientèle parisienne, de présenter les nouveaux produits et mieux cerner ses attentes. J’aime aussi pouvoir échanger avec les autres créateurs, quand on se retrouve d’une vente à l’autre, on est toujours content de se revoir ! Il y a vraiment une bonne ambiance à l’Hôtel Bohême !
-Quand tu ne travailles pas, où peut-on te trouver ?
Louise : Le dimanche au Marché de Wazemmes, tout près de chez moi, c’est l’un des plus grands marchés de France, il est très animé et cosmopolite. Après avoir fait ses courses, on peut s’installer à une terrasse des cafés aux alentours et pique-niquer. C’est une super ambiance !
Les soirs de week-end, je vais souvent avec des amis dans le même café, le patron est devenu un ami, j’aime bien les ambiances d’habitués, les endroit où l’on sait que l’on va rencontrer ses amis même sans se donner rendez-vous.
Sinon, je vais aussi voir mon frère qui habite à Bruxelles et des copines à Paris. A Bruxelles, je vais chiner au Marché aux puces de la Place du Jeu de Balle. A Paris, j’en profite pour aller voir des expos et manger dans des restaurants japonais près d’Opéra, j’adore cette cuisine !
– Quelles sont tes autres adresses fétiches à Lille ?
Louise : Deux librairies :
« Le Bateau Livre » une librairie indépendante en bas de chez moi, rue Gambetta. Ils ont une super sélection de livres d’art, de romans et de livres pour enfants. Et « la librairie du voyage », rue de Paris, c’est un incontournable avant de partir en vacances ou en week-end ! Ils ont toutes sortes de guides et de cartes sur les villes et pays du monde entier mais aussi des livres sur les cultures étrangères et des romans d’aventuriers.
Dans le vieux-lille, j’aime aussi beaucoup la boutique « Vintage », qui a une super sélection de vêtements et accessoires vintages bien sûr !
Tout près de là, rue Basse il y a aussi un très bon traiteur vietnamien, le bo bun y est délicieux !
Depuis que Lille a été Capitale Européenne de la Culture en 2004, de nouveaux lieux culturels ont vu le jour. La Gare St Sauveur, ancienne gare de fret, accueille maintenant un bar-restaurant et un espace d’expositions et de concerts. Il y a une grande terrasse, très agréable le week-end et les soirs d’été. Et tous les ans en fin d’année, au Tri Postal, ancien centre de tri de la poste, est organisé une grande exposition d’art contemporain. Je ne suis pas encore allé voir celle de cette année mais j’ai encore un peu de temps, elle dure jusqu’au mois de Janvier.
Et pour finir, mon musée préféré, Le LAM, c’est un musée d’art moderne mais il possède aussi une grande collection d’art brute. J’y allais déjà enfant avec mon père et j’aime toujours autant y aller.
– En dehors de ton travail qu’est-ce qui te passionne ?
Louise : J’aime plein de choses et elles nourrissent souvent mon travail ! J’aime le style des années 50, 60 et j’adore aller dans des brocantes ou à Emmaüs chiner de la vaisselle, des bibelots et des tissus anciens.
J’aime aussi beaucoup l’architecture, le design mais aussi l’art et le cinéma. Ma première collection était inspirée du travail de Charlotte Perriand, une architecte – designer contemporaine de Le Corbusier. C’est un livre sur sa vie au Japon qui a influencé mes premiers dessins.
Et souvent quand je regarde des films, je me dis que certaines scènes feraient de très belles compositions, c’est ce qui s’est passé pour les dessins de mes derniers modèles. C’est en revoyant deux films que j’aime beaucoup, « Buffet Froid » de Bertrand Blier et « Twin Peaks » de David Lynch que j’ai trouvé les sujets des foulards de la collection hiver.
– Une dernière chose à nous dire Louise avant de partir ?
Louise : J’ai répondu à l’interview avant cet inconcevable vendredi 13… En la relisant, j’ai été frappée par certaines de mes réponses :
“j’aime que les femmes soient libres et indépendantes”,
“le week-end, j’aime aller au Marché de Wazemmes, très animé et cosmopolite”
“je vais souvent avec des amis au café”…
J’ai réalisé que certaines choses du quotidien, qui pouvaient me paraître banales étaient en fait très précieuses !
Aujourd’hui la création me semble encore plus essentielle, elle procure un grand sentiment de liberté !!
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PHOTOS : Louise Motte
INTERVIEW : Mélanie Brument
Rendez-vous le 5 décembre pour le prochain portrait de créateur !